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Le Covid fait exploser les prix des résidences secondaires

L’attrait des régions suisses de montagne s’est encore renforcé en 2021, selon une étude d’UBS parue mardi. Mais la pénurie de résidences secondaires incite un nombre croissant d’autochtones à vendre leur Résidence principale. Une tendance préoccupante qui relance la discussion sur la Lex Weber

On se frotte les yeux à la lecture des prix des résidences secondaires en Engadine, à Gstaad ou dans la région de Ia Jungfrau, où l’on frôle les 20’000 francs le mètre carré en 2021, selon l’étude Alpine

Property Focus d’UBS parue mardi. Même si les prix n’ont pas augmenté dans la même mesure à Verbier, qui se trouvait lors de Ia précédente édition de l’étude dans le trio de tête, la station valaisanne reste sur une tendance haussière. Et on ne parle pas ici du segment particulier de l’immobilier dit de luxe où il faut compter avec un mètre carré à 40’000, voire 45’000 francs comme c’est le cas pour une nouvelle promotion au centre de Gstaad.

« En moyenne, les prix ont augmenté de 10% l’an dernier et de 15% depuis le début de la pandémie dans l’ensemble des régions étudiées, explique l’économiste Maciej Skoczek, l’auteur du rapport d’UBS. Et, contrairement à ce qu’on observe depuis le lancement de notre étude il y a quinze ans, il n’y a pas de stations passées en revue qui enregistrent des baisses. » A titre d’exemples, on observe ainsi des hausses supérieures à la moyenne à Anzère (VS), Evolène (VS) ou Leysin-Les Mosses (VD), mais dans des gammes de prix inférieures à 7’000 francs le mètre carré. Une évolution qui confirme une pénurie croissante d’objets à la vente aussi bien dans les lieux tournés vers l’international que dans les stations plus petites.

On connaît quelques-unes des raisons de cette ruée vers les régions alpines. Les restrictions des voyages à l’étranger ont poussé beaucoup de Suisses à (re)découvrir les joies de la montagne, La généralisation du télétravail puis Ia mise en place de modèles de travail hybrides ont nourri la recherche de résidences secondaires. S’y ajoutent des taux d’intérêt jusqu’ici historiquement bas, une bourse agitée et le caractère de valeur refuge d’un tel investissement.

Un nombre croissant de citadins ont par ailleurs déménagé leur domicile principal à la montagne, comme ce cadre d’une multinationale basée à Lausanne qui a vendu son appartement en ville pour acheter un bien dans le val d’Anniviers (VS). Dans l’équation, une volonté d’optimisation fiscale qui a aussi son importance. Anecdotique ? Les statistiques révèlent en tout cas une augmentation de la population dans les cantons de montagne supérieure à Ia moyenne suisse, l’an passé.

Pour qui veut acquérir une résidence secondaire, avec 9% du parc immobilier à la vente, les cantons de Vaud et du Valais offrent, sur le papier en tout cas, plus d’opportunités que les Grisons, la Suisse centrale ou les Alpes bernoises ou seuls 2% du parc sont sur le marché. Comme l’explique Grégoire Schmidt, patron de la société Schmidt Immobilier, on trouve encore à Nendaz, à Crans-Montana et même à Verbier un nombre relativement important d’appartements construits dans les années

70 ou 80. « Le problème, c’est que ces objets n’ont jamais été rénovés et que leurs propriétaires exigent encore des prix surfaits aux yeux d’acquéreurs potentiels qui devront ensuite consentir des sommes importantes pour les mettre au goût du jour. » Sans oublier les investissements liés à d’éventuels changements de chauffage et à une amélioration de l’efficience énergétique.

La tentation de vendre sa résidence principale

Sur le plan démographique, la pénurie de résidences secondaires induit aussi des changements dans la composition même de la population des stations de montagne. « Ma principale préoccupation, souligne Christophe Clivaz, conseiller national vert valaisan et professeur de géographie à l’Université de Lausanne, c’est la vente par les habitants du cru de leur résidence principale à des nouveaux arrivants qui en font le plus souvent leur résidence secondaire. » Avec l’avènement de prix stratosphériques, la tentation est grande, en effet, de se séparer de son bien, de toucher le pactole et de déménager dans un lieu moins prisé. Par exemple en plaine. Une inquiétude que partagent les adversaires de la Lex Weber, votée en 2012 par le peuple, et qu’ils brandissent comme un argument pour la réviser.

Parmi eux bon nombre de professionnels de l’immobilier comme Louis Martin, administrateur de CF Immobilier et président de I’association USPI/Vaud. Actif à Gstaad et dans le Pays-d’Enhaut, il défend aussi l’idée qu’il faudrait pouvoir, de manière contrôlée, développer des nouveaux quartiers mixtes de résidence secondaires et de résidences primaires à des prix accessibles. « Il existe un danger bien réel, affirme-t-il, que l’équilibre toujours fragile entre habitants du lieu et propriétaires de résidences secondaires soit rompu. C’est pourtant essentiel si l’on veut que les stations restent vivantes toute l’année. » Et de noter au passage que les communes, si la loi weber était modifiée, pourrait prévoir cette mixité.

Modifier la Lex Weber ?

Directeur -du Groupement suisse pour les régions de montagne, ancien conseiller national du Centre, Thomas Egger souligne, lui, les « erreurs de construction » de la Lex Weber et de sa loi d’application entrée en vigueur en 2016. Il s’irrite du rapport de bilan publié par le Seco en mai dernier, qui recommande le statu quo et qui fixe le rendez-vous pour une nouvelle évaluation à 2025.

Le Haut-Valaisan déplore également le durcissement presque systématique de la loi par le Tribunal fédéral suite aux nombreux recours déposés. Par réalisme politique, Thomas Egger, comme les milieux immobiliers d’ailleurs savent bien qu’il ne faut pas espérer de modifications majeures dans I’immédiat, mais ils affûtent déjà leurs arguments pour une révision totale de la loi dans trois ou quatre ans. Pour l’heure, ils se bornent à soutenir la motion du conseiller national (GR/Centre) Martin Candinas, approuvée par les deux Chambres, et qui propose un assouplissement ciblé en cas de rénovation ou de reconstruction d’un bien.

De son côté, Vera Weber, le fer de lance de l’initiative lancée par son père et la présidente de la Fondation Helvetia Nostra, refuse une révision totale, même si elle reconnaît volontiers que la loi d’application n’est de loin pas parfaite. « Apporter aujourd’hui des modifications à un texte qui n’a pas dix ans, souligne-t-elle, ce serait ouvrir une boîte de Pandore. » Christophe Clivaz partage l’idée qu’il ne faut en aucun cas changer le fond du dispositif, même si quelques amendements à la marge se révéleront sans doute inévitables.

Effet de rattrapage

Reste à savoir comment le marché de l’immobilier aura évolué d’ici à zoz5. La pénurie de résidence secondaires va-t-elle se confirmer ? Comment les prix vont-ils évoluer ? Les excès observés ces 24 derniers mois vont peu à peu tempérer la demande : les économistes d’UBS anticipent une hausse de 4-5% pour 2022. L’augmentation des charges, en raison des coûts de l’énergie, notamment, et celle des hypothèques renchérissent, elles aussi, l’acquisition d’une résidence secondaire. Il faut se rappeler enfin que les prix ont passé par un sérieux creux entre 2013 et 2018, contrairement aux évolutions observées en plaine. L’envolée actuelle révèle donc un effet de rattrapage. Et c’est sans compter l’évolution des comportements, l’envie de se remettre à voyager au loin. Et l’incertitude qui continue de dominer. Les spécialistes du secteur interrogés observent presque tous Ia même prudence : les événements récents, disent-ils en chœur, nous ont appris à rester humbles.

Lire la chronique ici.

Louis Martin, président de l’USPI Vaud.

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